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Je suis un intello précaire – Chronique du 20 juin 2018



L’intello précaire a-t-il le droit de mettre du beurre dans ses épinards ?


Avant de commencer, je dois vous annoncer que des non-précaires lisent aussi cette chronique. Pour ne pas démériter, j’ai décidé d’y introduire aujourd’hui deux ou trois mots difficiles qu’ils voient qu’on n’est pas des brelles. Ils devront prendre un dictionnaire ; cela leur fera les pieds. Quelle humiliation ! Pour nous, les précaires, les dicos ça ne nous fait pas peur, nous sommes habitués aux aides en tout genre, c’est une idiosyncrasie de classe mais eux, c’est pas la même chose.


L’intro finie, nous attaquons. Je vous rassure ; être précaire aujourd’hui ne signifie pas que vous l’avez toujours été et que vous le serez à jamais. L’intello précaire, lui, restera pauvre car il joue avec le feu. Ses ennemis sont les Alphas dominants des champs politiques, culturels et littéraires de la nation. Il possède pourtant un capital symbolique qui lui donne parfois une bonne place dans ces champs mais son destin est scellé.


C’est un entêté ; il défend la France Insoumise, le NPA ou Lutte Ouvrière ou pire, c’est un anarchiste. Il collabore de près ou de loin (il peut aussi être un simple abonné) avec le Monde Diplomatique ou les médias alternatifs d’importance comme Là-bas si j’y suis, Le Média ou Acrimed ; se sont d’affreux chavistes, des islamo-gauchistes dégoûtants. D’ailleurs, on soupçonne beaucoup d’intellos précaires d’être les deux à la fois.


On attend d’eux qu’ils soient pauvres car selon la doxa néolibérale, qui se trouve être aussi celle de la sociale démocratie, l’intello de gauche (l’impertinent, jaloux de son indépendance, pas le BHL de tête de gondole) doit crever la dalle sinon il perd toute crédibilité. Cette philosophie réactionnaire trouve des oreilles jusque dans les rangs de la gauche.


Pour ceux qui s’intéressent au mouvement espagnol Podemos, la mésaventure est arrivée à son secrétaire général, Pablo Iglesias. La presse réactionnaire et bien-pensante l’a cloué au pilori car il avait acheté à crédit, avec sa femme, Irene Montero, une maison de 600.000 euros. L’affaire, montée en épingle, a déclenché une crise au sein du parti qui a, dans la foulée, organisé un vote. Les bases ont finalement décidé qu’Iglesias devait rester leur secrétaire général. Pendant ce temps, les Espagnols oubliaient que les vrais voleurs continuaient de leur faire les poches et de vider les caisses de l’état.


Cette idée de l’homme ou de la femme de gauche indigent est comme le Brexit ; elle divise là où on ne s’y attend pas. Alors, creusons l’aporie, si vous le voulez bien.


Partons de la vérité assenée : « il faut être pauvre pour défendre les pauvres. » Par analogie, nous devrions donc affirmer sans nous tromper que : « il faut être riche pour défendre les riches ». Mais cette affirmation est fausse.


La majorité des rédactions et des médias pullulent d’individus qui défendent les riches et leurs patrons milliardaires alors qu’ils ne touchent qu’entre 2000 et 10.000 euros par mois. Ce ne sont pas des riches ; ce sont pour la plupart des bobos. Un riche touche 200 fois le smic par exemple. Il ne faut pas se tromper de cible, les amis. En politique, c’est la même chose ; les célébrités, elles, s’en mettent plein les poches. Pour le coup, ces riches-là défendent les riches. Mais leurs équipes se contentent de miettes et leurs bases gardent toutes les pièces jaunes. Trente pourcents des ouvriers votent traditionnellement à l’extrême-droite.


Bref. Tout ceci n’est qu’une grosse bêtise. Et l’élément moral me dirait-vous ? Quoi, voulez-vous suggérer qu’il faille se prostituer pour défendre les prostituées ? Etre ignorant pour défendre les ignorants ? La cause du problème qui nous pousse à ce genre de raccourcis est ailleurs et ce sera l’objet d’une autre chronique.


A demain ami(e)s précaires

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